Anne Brégeaut : soleil couchant 24h/24
Avec sa palette acidulée, ses fantaisies heureuses, comme cette petite danseuse burlesque qui surgit de derrière un frigo, Anne Brégeaut a construit en une vingtaine d’années un univers proche de celui des contes et de l’art populaire. Ses toiles sont baignées d’une atmosphère enfantine qui exprime souvent des grincements angoissés. Quelques mouches noires vous contemplent, immobiles à la surface de la toile. Fidèle à cet esprit, « Soleil couchant 24h/24 » est comme un paysage intérieur onirique et éclaté, une maisonnette en pain d’épice qui serait déconstruite au fil des cimaises dans chacune des toiles exposées. Il y a d’abord les grands arbres d’une forêt, une façade en rondins de bois que l’on devine derrière les branches, et puis le quotidien banal, peuplé de couples enlacés et de dormeurs dans leur lit, ici une chambre à coucher, là un bain qui mousse dans une salle d’eau, une part de gâteau aux carottes sur la table de la cuisine, et un feu qui brûle dans l’âtre du salon.
Toutes ces saynètes sont comme perchées sur la cime de grandes formes abstraites qui composent les fonds des différents tableaux. Ce sont parmi ses plus récentes innovations, avec le grand format de quelques toiles. Récemment, la peinture s’est imposée à Anne Brégeaut comme l’une de ses principales préoccupations. Jusqu’à présent, il lui était souvent arrivé d’accrocher ses châssis sur des peintures murales ou des papiers peints de sa main qui recouvraient les murs comme des all over. Ici, ces fonds psychédéliques se sont animés pour entrer dans les images, comme balayés par des vents mystérieux qui leurs donnent leur allure étrange. Leurs teintes sont parfois plus intenses que dans ses œuvres antérieures, par l’effet de la peinture Flasche qu’Anne Brégeaut utilise depuis peu au lieu de la gouache. Elle parle de ces formes colorées comme de « forces invisibles entre les choses », on pourrait aussi parler d’auras, sans pour autant y voir d’accents mystiques. Paradoxalement ce sont ces fonds qui évoquent tour à tour des flammes ou des végétaux, et qui relient entre eux les différents temps des tableaux, que surgissent les différents récits imaginés à partir de ces toiles.
Au sein d’un même tableau, et parfois aussi d’un tableau à l’autre, des personnages réapparaissent sous des formes un peu différentes : un bras levé, une tête tournée… En plus des objets qu’elle construit depuis toujours, et qui sont encore pour elle une pratique régulière, Anne Brégeaut a également réalisé des films d’animation. C’est un peu ce principe que l’on retrouve, mais dans des scènes immobiles, visions de plusieurs temps dans une même image. Tout autour de la pièce, l’accrochage est comme complété par des peintures murales, fragments prélevés dans les toiles : la branche d’un arbre, des bouteilles de lait du frigo, des gouttes de pluie… Peut-être est-ce toute l’exposition qui est un peu un film, ou bien alors, ce serait une grande mise en abyme car dans l’une des toiles, c’est l’espace même de la galerie que l’on reconnait, avec son escalier qui descend, sa porte et ses boiseries de bois… Ou alors encore, plus simplement, ce serait une grande rêverie un peu hallucinée dont on pourrait bientôt se réveiller et dont ces tableaux ne seront plus qu’un lointain souvenir.
Anaël Pigeat, Mai 2019